I. Le principe : exclusion de responsabilité du dirigeant d’une entreprise en liquidation judiciaire pour simple négligence
L’article L.651-2 du Code de commerce prévoit que dans l’hypothèse du placement d’une personne morale en liquidation judiciaire faisant apparaitre une insuffisance d’actif, la juridiction peut décider que le montant de cette insuffisance d’actif soit supporté, en tout ou partie, par un ou plusieurs dirigeants ayant contribué à une faute de gestion.
Pour retenir une telle responsabilité, il faut démontrer l’existence :
- d’une faute de gestion du dirigeant,
- d’un préjudice constitué par l’insuffisance d’actif,
Dans une telle hypothèse, ce sont les divers créanciers de la société qui subissent un tel préjudice.
- d’un lien de causalité entre cette faute et ce préjudice.
La loi n°2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique a ajouté à ce texte une précision importante.
Elle écarte cette responsabilité pour insuffisance d’actif en cas de simple négligence dans la gestion de la personne morale.
Cette précision marque une rupture du droit des procédures collectives avec le droit commun.
En effet, l’article 1241 du Code Civil prévoit une responsabilité de chacun pour le dommage causé par son fait, sa négligence ou encore son imprudence.
Mais alors comment distinguer la faute de gestion de la simple négligence ?
L’arrêt rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation le 3 février 2021 précise cette distinction.
II. Une précision : la qualification de la simple négligence du dirigeant
Dans cet arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation du 3 février 2021, n°19-20.004, le liquidateur d’une société placée en liquidation judiciaire avait assigné les deux dirigeants de cette société qui s’étaient succédés afin de les voir supporter l‘insuffisance d’actif de cette société.
Il était reproché à ces deux dirigeants l’absence de déclaration de cessation des paiements dans le délai légal de 45 jours.
Une telle obligation est prescrite par l’article L.640-4 du Code de commerce.
Or selon le liquidateur, des éléments du dossier pouvaient établir qu’ils connaissaient la situation de cessation des paiements de la société.
La Cour de cassation s’est toutefois refusée à retenir en l’espèce la faute de gestion.
Elle a considéré que la connaissance de la cessation des paiements par les dirigeants ne suffit pas à qualifier une telle faute.
Dans cette décision les juges ont par exemple pu s’attacher à la bonne foi des dirigeants.
Ils s’étaient effectivement employés, malgré l’état de cessation des paiements, à redresser la situation de la société par diverses mesures.
III. La portée de cette décision : réduction du champ de la faute de gestion du dirigeant
Cet arrêt publié au Bulletin de la Cour de cassation rompt avec la jurisprudence antérieure.
En effet, à de multiples reprises, elle a pu considérer qu’une telle omission de déclaration de cessation des paiements devait s’analyser en une faute de gestion répréhensible et non en une simple négligence.
A ce titre il importe peu que la bonne foi du dirigeant soit prouvée ou non.
Cependant, il y a lieu de préciser que l’appréciation de la faute de gestion ou de la simple négligence est soumise à l’appréciation souveraine des juges du fond.
Ceux-ci doivent s’attacher aux spécificités de chaque espèce.
Il résulte toutefois de cette jurisprudence que la preuve de la faute de gestion pourra désormais être plus difficile à rapporter.
Une plus grande place pourra ainsi être faite à la notion de simple négligence.
Cela pourra conduire à réduire significativement les cas de responsabilité des dirigeants pour insuffisance d’actif.
Corrélativement ce sont les créanciers qui pourront subir une diminution de leurs chances de se voir désintéresser.